Marion,
Psychomotricienne diplômée de l’école de Bruxelles, a réalisé après son DE un
stage dans une association prenant en charge des hommes, femmes et
enfants réfugiés. Encore une belle application de la Psychomot, qui peut
décidément s’attaquer à de nombreuses problématiques !
Dans quels pays et quels types d’établissement
se déroule la prise en charge psychomotrice des réfugiés ?
C’est en France,
puis en Suisse et en Belgique que l’on trouve des psychomot travaillant auprès
de migrants. La plupart travaillent dans des centres spécialisés dans la
migration ou en libéral. Mais l’on retrouve le plus de migrants dans les lieux
en lien avec l'enfance (car les migrants ont comme nous tous pour obligation de
scolariser leurs enfants).
En fait
on est pas obligé de travailler dans un centre spécialisé dans la migration
pour travailler auprès de migrants/réfugiés, parfois on se retrouve dans des quartiers
un peu plus défavorisés, ou près d'un foyer d'accueil, et on les rencontre dans
les hôpitaux, dans les écoles, parfois même dans les maisons de repos.
Dans quelle
institution as-tu travaillé ?
J’ai fait un stage de six mois dans une association en Belgique
spécialisée dans l’accueil des personnes migrantes, exilées, réfugiées. Le but
de cette association est d’offrir un soutien médico-psycho-social à ces
personnes qui ont, dans la plupart des cas, été victimes d’une guerre et/ou de
violences, de tortures, de persécutions psychiques, physiques ou sexuelles, en
plus d’avoir dû quitter un pays auquel elles étaient attachés.
L'équipe
était constituée de médecins, psychologues, assistant-e-s sociales, et de ma maîtresse de stage.
Comment/pourquoi
t'es tu orientée vers la prise en charge des réfugiés ?
J’ai toujours été très attirée par les problématiques
culturelles et migratoires (un de mes rêves d’enfants était d’ailleurs d’être anthropologue) sans pour autant penser un jour que je pourrais
travailler dans le domaine en tant que psychomotricienne. En fouillant sur
internet à la recherche d’un stage (dans tous les domaines à ce moment là),
j’ai pu voir que, même si les psychomotricien-ne-s qui travaillaient auprès de
ces personnes étaient très rares, il y en avait quand même ! Et il y en
avait justement une en Belgique au sein de cette association. En fait, je ne
cherchais pas réellement un stage dans ce domaine parce que je ne savais pas
que nous pouvions y travailler mais, en voyant cette occasion, j’ai su
instantanément que c’était ce que je voulais faire, que ça allait probablement
être dans ce domaine que je m’épanouirais en tant que psychomotricienne, et je
voulais aussi montrer aux gens que nous avons un rôle à jouer avec ces
personnes.
Voyais tu plus
d'hommes, de femmes, d’enfants ? Quelles étaient leurs nationalités ?
La proportion d’hommes et de femmes est à peu près équivalente.
En ce qui concerne les enfants, j’étais dans une équipe d’accueil pour adultes
donc j’en ai croisé peu. Mais il y a beaucoup de MENA (Mineurs Etrangers Non
Accompagnés), c’est-à-dire des jeunes entre 11 et 17 ans qui ont migré seuls
depuis leur pays d’origine. Et dans ces cas là aussi la psychomotricité a son
rôle : ces jeunes sont isolés, en perte de repères, traumatisés. Pendant la migration, ce sont des personnes très vulnérables qui peuvent être facilement
intégrés à des trafics d’humains. Dans quelques cas, le reste de la famille est
encore au pays, ou elle a migré également mais est bloquée dans un autre pays,
ils ont très rarement de leurs nouvelles. Comme les adultes, ils ont accumulé
beaucoup de mauvaises expériences et leur corps en pâtit. Ce sont des jeunes,
parfois des enfants, qui ont dû grandir trop vite.
Quant aux nationalités, c’est lié aux pays en guerre ou sujets à
des conflits entre ethnies : Syrie, Irak, Afghanistan, Erythrée, Somalie,
Guinée, Sénégal… Certaines femmes fuient les mariages forcés également.
Était-ce difficile de faire face à ce public traumatisé par des épreuves qu'on
n’imagine même pas en Europe ?
Oui au début c’est difficile. En plus, j’étais souvent plus
jeune que mes patients, ce qui me donnait encore plus l’impression de ne pas
être, en quelques sortes, crédible.
On se demande si on peut faire face aux
récits qu’on entend. Parfois on parvient à accueillir ce qui est dit, et
d’autres fois on ne le peut pas. Au niveau du contre-transfert c’est parfois
difficile à gérer : ça dépend de la personne que l’on a en face de nous,
de la façon dont elle-même parvient à mettre en mots ce qui a été vécu et dont
elle s’en distancie, mais aussi de l’état dans lequel on est au moment où l’on
reçoit le récit.
Mais chaque prise en charge a son lot de difficultés à ce
niveau là, dans toutes les disciplines et avec tout public, en fonction de
notre expérience, de notre état et du patient, il y a des choses qu’on peut
gérer et d’autres où on va avoir besoin d’une aide extérieure. L’équipe, si
elle est en de bons termes et soutenante (et j’ai eu la chance que ce soit le
cas pour moi) apporte cette aide extérieure, nous aide à nous distancer de ce
qu’on vit avec certains patients dont les récits nous submergent.
Mais la chose principale qui nous permet de faire face reste selon moi la
force des patients. Les patients réfugiés ont une force de résilience
incroyable, ils parviennent à surmonter des choses qui nous paraissent
insurmontables. Cette résilience épatante et les progrès qu’ils font chaque
jour sont très nourrissants et c’est ce qui m’a permis de faire face aux
moments plus difficiles. C’est l’aspect magnifique de ce travail : ils ont
souvent en eux toutes les ressources nécessaires pour surmonter leurs traumatismes,
et nous on est finalement là pour aider à ce que ces ressources émergent.
En quoi ton travail
auprès des réfugiés était il différent du travail des psychologues et des
autres médecins et paramédicaux ?
J’ai en fait beaucoup écouté ce qu’ils avaient à dire, mais
probablement pas de la même façon que l’a fait la psychologue. Je pense que le
fait de travailler sur le corps permet de délier la parole. En fait, la prise
en charge en psychomotricité arrivait souvent en dernier lieu : on avait
une réunion d’équipe dans laquelle on énonçait les nouveaux arrivants, puis ils
avaient souvent en tout premier lieu un RDV avec le médecin de l’association,
pour constater les tortures et violences, les maladies potentielles, les troubles
physiques et/ou psychiques… et parallèlement avec l’assistant social pour
travailler sur la procédure de demande d’asile et la possible obtention de leurs
papiers, qui est d’ailleurs souvent pour eux la priorité ultime.
C’est
souvent à la suite de ces entretiens qu’on décidait s’ils seraient suivis en
psychologie et en psychomotricité. Dans certains cas, un travail sur le corps
peut s’avérer un peu effrayant, parce que ce n’est pas courant dans leur
culture ou parce qu’ils ont vécu tellement de mauvaises expériences au niveau
corporel qu’ils le désinvestissent. Un suivi psychologique peut être alors plus
judicieux dans un premier temps. Mais dans d’autres cas, c’est parfois le fait
de travailler sur le corps qui va délier la parole et indirectement impacter le
travail réalisé parallèlement en psychologie.
Aussi nos prises en charge sont différentes mais complémentaires. Ces patients ont souvent beaucoup de
choses dans la tête qui les empêche de vivre pleinement : la famille est
restée dans leur pays d’origine ou est décédée, parfois pendant le trajet
migratoire, puis les souvenirs de la guerre ou des tortures/violences qui
reviennent en boucle, sans compter la lenteur de la procédure d’asile qui les
laisse constamment dans un sentiment d’insécurité : ils pourraient
repartir vers l’enfer qu’ils ont vécu à tout moment.
Qu'elle est la place
de la Psychomotricité dans cette problématique ?
Souvent, le principal aspect dans ces prises en charge reste de
créer un lien avec la personne : elle n’a peut-être plus de famille, se
sent isolée, peut avoir perdu toute confiance en l’humanité avec les atrocités
qu’elle a pu vivre. On essaie de reconstruire du lien et des repères chez la
personne : dans l’écoute, dans la contenance, dans la mise à disposition
d’un espace-temps sécure où elle sent qu’elle peut s’exprimer et que ce qu’elle
exprime sera accueilli, digéré, symbolisé, transformé ou mis en mots.
Quand je
parle de créer repères, je pense aussi aux repères spatiaux-temporels : il
ne faut pas oublier que les personnes réfugiées arrivent dans un environnement
et une culture inconnue, complètement différente dans sa gestion de l’espace et
du temps. En ethnopsychiatrie, on parle de « métissage » et notamment
de « cadre métissé ». Notre cadre en psychomotricité, balisé en temps
et en espace, offre des repères mais peut également servir à la rencontre
interculturelle avec notre patient. Sans calquer la culture du patient, on peut
s’en inspirer dans l’aménagement de notre salle, dans l’utilisation du temps ou
dans le choix des médiations.
Nous avons aussi accès, de manière plus privilégiée, au langage
non verbal du patient et à tout ce dialogue tonico-émotionnel qui est une des
spécificités de notre métier. Puisque le psychisme et le corps sont liés, tout
ce que le corps raconte n’est pas anodin et c’est au psychomotricien de se
questionner sur l’état de son patient lorsque le langage verbal ne concorde pas
avec le langage non verbal.
C’est par ailleurs souvent le cas chez ces
patients, ils ont régulièrement des troubles du tonus et on le ressent plus
particulièrement à travers le dialogue tonico-émotionnel. La souffrance
psychique qui a été vécue lors de la migration et des violences laisse une emprunte
tonique dans le corps du patient, parfois hypertonique, parfois hypotonique
mais qui entraine des difficultés corporelles et motrices. J’ai eu des patients
complètement raides, qui n’utilisaient plus toutes leurs articulations.
Nous avons aussi un apport intéressant pour les troubles
psychosomatiques, une autre traduction par le corps de ce qui se passe dans le
psychisme : les problèmes de sommeil, l’hypervigilance, les troubles
anxieux, les troubles digestifs, les troubles de l’équilibre, les troubles de
l’humeur…
Quels étaient les
troubles psychomoteurs les plus répandus chez tes patients ?
Les
traumatismes vécus par la migration ou les tortures induisent ce que l'on
appelle un Syndrome de Stress Post-Traumatique, c'est un trouble psychique qui
en entraîne plein d'autres : des états psychotiques, des troubles de
l'attention, de l'hyperviligence. Tout ça fait que le corps est constamment en
alerte, sans possibilité de se reposer et de récupérer. Le système nerveux
parasympathique est alors mis à mal, ce qui entraine des troubles du sommeil et
digestifs.
Au niveau psychomoteur, ça se traduit par des troubles du tonus, des
troubles psychosomatiques, des troubles sensori-moteurs, et
parfois aussi des maladies en lien avec les douleurs chroniques comme la
fibromyalgie. Il y a en fait une corrélation entre ces maladies et les
traumatismes, sans que l'on ait encore de réelle explication à ce sujet
(l'hypothèse principale est la modification du seuil de la douleur due aux
traumatismes, comme si les récepteurs de la douleur situés dans le SNC et
stimulés pendant les événements traumatiques avaient pu développer une sorte de
mémoire de la douleur jusqu’à en devenir plus sensibles).
Quelles techniques/médiations
utilisais-tu ?
Devant tout ce qu’ils ont vécu, ils ont beaucoup à exprimer, à
extérioriser, parfois c’est à travers les mots (quand ils savent parler le
français, car je n’ai pas encore mentionné la barrière de la langue mais c’est
tout de même un aspect important et particulier du travail auprès de réfugiés),
parfois c’est à travers le corps : le yoga, la relaxation, les touchers
thérapeutiques, la danse ; ou bien le dessin, la peinture, le théâtre, la
sculpture.
On cherche la médiation qui va fonctionner le mieux avec la
personne. C’est aussi à tâtons qu’on avance, j’ai pu personnellement beaucoup
travailler avec le toucher mais quand le corps a été profané, persécuté,
maltraité, les médiations corporelles en général doivent être amenées très
minutieusement.
En séance individuelle, j’ai fait essentiellement de la
relaxation, des exercices de respiration, de touchers thérapeutiques, quelques
exercices empruntés au tai-chi et du dessin ou du travail de l’argile. La
relaxation, la respiration, le toucher et le tai-chi parce qu’ils permettent une
réappropriation corporelle et de la détente dans le cas d’hypertonie. Et
puisque corps et psychisme vivent en interrelation, une détente corporelle peut
amener une détente psychique et inversement. Il y a aussi ce sentiment de
reprendre le contrôle sur son corps, qui a pu vivre des états de soumission
terribles, et du coup sur sa vie. L’argile et le dessin, parce que ça permet de
symboliser tout ce qui a pu être vécu.
En prise en charge en groupe, c’était plus « ludique »,
un terrain d’expérimentations corporelles et de sensations : jeux avec
ballons, foulards, tissus, jeux de rythmes, automassages, expression primitive,
danse… C’était un travail de relation, pour réinscrire des personnes au sein d’un
groupe, mais d’image du corps aussi : prendre conscience que nous et notre
corps somme encore capable de bouger, de s’exprimer, d’entrer en relation…
En tant que jeune
diplômée, est ce que tu as pu tirer de tes études toutes fraîches des choses
pertinentes pour cette PEC ?
Etant donné que cette expérience est celle de mon stage long de troisième
année, j’avais encore un pied à l’école au moment où elle a été vécue. Et oui,
la majorité des choses que ce que j’ai utilisé, je les ai apprises pendant mes
études. En Belgique nous avons beaucoup de cours pratiques, nous avons pu
expérimenter beaucoup de médiations différentes.
Nous avons aussi un cours
d’ethnopsychologie, il me semble que ça ce n’est pas le cas en France dans
certaines écoles. Ce cours m’a été très utile également pour comprendre ce qui
pouvait se passer lors de la rencontre de deux cultures différentes. A côté de
cela, c’était aussi le sujet de mon mémoire donc je me suis évidemment beaucoup
renseignée sur le sujet et c’est comme ça que j’ai pu compléter les
informations qui auraient pu manquer.
As-tu noué des liens particuliers avec certains de tes patients ?
Oui, bien sûr ! La fin du stage n’a pas été si facile,
autant pour certains patients que pour moi. Quand on s’implique auprès d’une
personne dans une prise en charge, on y investit notre corps de psychomotricien
mais aussi notre cœur d’humain. On peut parfois s’attacher à certains patients
et eux s’attachent aussi à nous, mais on part avec une sensation de fierté du chemin
qu’on a parcouru ensemble, même s’il a pu être un peu sinueux parfois ou si
c’est un tout petit chemin.
Avec ces patients en manque
de repères, il m’a paru très important, lors de la toute dernière séance, de
retracer avec eux le chemin parcouru. Ca donne un fil conducteur et, même si
nous partons, ils savent où ils sont arrivés. Si les traumatismes laissent une
emprunte tonique sur leurs corps, nos interventions, à travers les expériences
et expérimentations que nous proposons, aussi. Tout ce que nous avons proposé,
ils pourront le réinvestir à leur façon. C’est un petit bout de relation et du
travail accompli qui reste même une fois la prise en charge finie.
Merci à
Marion pour ce témoignage très inspirant :)
Pour plus
d’informations sur les personnes qui subissent ces migrations, et les moyens de
leur venir en aide, voici le site de l’association française EliseCare (anciennement Shannong et Avicenne) qui apporte des soins médicaux (notamment
l’acupuncture) au réfugiés d'Irak, de la Syrie, et du
Liban, et intervient également auprès des migrants en France.